Comment Mark Carney va changer le parti libéral
« Pourquoi fait-il cela ? »
« Mark saute sur un bateau qui coule. »
« Je ne comprends pas ».
Ce ne sont là que quelques-uns des messages qui se sont allumés sur mon téléphone cette semaine, tous exprimant la perplexité face à la décision de Mark Carney de commencer à conseiller officiellement le Premier ministre Justin Trudeau.
Pour un homme qui, comme M. Carney, a toujours esquivé les appels à entrer en politique, la question se pose de savoir pourquoi maintenant ?
Les motivations de M. Trudeau semblent assez simples. Les libéraux sont à la traîne dans les sondages, la frustration de l'opinion publique est grande et le gouvernement s'accroche à peine au pouvoir. Le premier ministre a besoin rapidement d'un nouveau discours économique, un discours qui ait de la crédibilité et de l'autorité. M. Carney, qui a notamment dirigé la Banque du Canada et la Banque d'Angleterre, répond exactement à ces critères.
Mais quel est l'intérêt de M. Carney ?
L'ancien banquier central a longtemps flirté avec la politique libérale sans pour autant s'y engager pleinement. (Une recherche rapide sur Google de « Mark Carney Scott Brison » vous dira depuis combien de temps).
M. Carney a quitté la Banque d'Angleterre en 2020. Depuis lors, M. Trudeau a tenté à plusieurs reprises de le faire entrer dans le giron de son parti, en lui proposant des rôles au sein du gouvernement et même un poste de ministre. Mais M. Carney, qui occupe déjà un poste de premier plan dans une grande société d'investissement alternatif, préside une grande société d'information financière, siège au conseil d'administration d'un géant mondial de la fintech et conseille l'ONU sur le changement climatique, a toujours décliné l'offre.
Jusqu'à présent. Et à un moment où les perspectives politiques de M. Trudeau n'ont jamais semblé aussi sombres.
Pragmatique et concentré
Officiellement, le nouveau poste de M. Carney consiste à conseiller le parti libéral, et non le gouvernement. Son titre est celui de président du groupe de travail du leader sur la croissance économique et, selon un communiqué, son mandat consiste à rédiger des recommandations politiques « pragmatiques et ciblées » à l'intention du leader libéral et du comité de la plate-forme électorale du parti.
Travailler pour le parti et non pour le gouvernement a deux objectifs. Tout d'abord, cela permet à M. Carney d'éviter les conflits d'intérêts et de conserver intactes ses fonctions au sein de l'entreprise.
Plus important encore, cela donne à M. Carney ce qu'il apprécie probablement le plus : le contrôle.
Il a désormais la possibilité d'orienter la politique économique du Parti libéral sans s'enliser dans les tâches quotidiennes d'un gouvernement qui pourrait ne pas survivre aux prochaines élections et au sein duquel il serait en concurrence pour l'obtention d'une influence.
Bien que M. Carney ne dispose pas d'une machine politique, il se positionne comme le poids lourd intellectuel du parti. Il s'agit d'un point de vue puissant, qu'il soit ou non candidat à la direction du parti. Même s'il reste dans l'ombre, il façonnera le débat économique au Canada, notamment en ce qui concerne la transition climatique.
Ses détracteurs ne verront là que du théâtre politique, et M. Carney n'est pas près de voir son travail aboutir rapidement. Même si ses idées sont intégrées au budget de printemps, il y a plus d'une chance sur deux que le plan budgétaire ne survive pas à un vote parlementaire. Et ne nous voilons pas la face, le programme, aussi solide soit-il, sera probablement rejeté dans les urnes.
Mais l'influence de M. Carney pourrait survivre à la défaite électorale et transformer la panoplie politique du parti pour les années à venir.
Le Parti libéral est mûr pour un changement de mentalité. Depuis la pandémie, le gouvernement Trudeau s'est fortement appuyé sur l'expansion fiscale et l'activisme social, une approche qui semble avoir fait son temps.
Des résultats décevants
Au cours des quatre dernières années, le Canada a connu une augmentation massive de ses dépenses et de ses recettes, mais les retombées politiques et économiques ont été minimes. En d'autres termes, il n'y a pas de dividende de la croissance, les sondages sont en baisse et des défis tels que la transition climatique et les dépenses de défense ne sont toujours pas résolus.
Certes, les changements structurels de l'économie mondiale et de la géopolitique exigent un gouvernement plus engagé à l'avenir. Mais ces défis - en particulier en ce qui concerne le climat - sont trop vastes pour qu'un gouvernement puisse les relever seul sans un investissement privé important. C'est là que les libéraux ont échoué : la dépendance excessive du gouvernement à l'égard de l'activisme a sapé sa propre efficacité et affaibli la croissance du secteur privé.
Et c'est probablement là que M. Carney pense pouvoir intervenir.
Je ne peux que spéculer sur ce que Carney proposera, mais il est presque certain, sur la base de son volumineux dossier public, qu'il s'éloignera de l'utilisation des dépenses publiques comme principal instrument pour résoudre les plus grands défis du Canada. Il s'appuiera plutôt sur des cadres réglementaires ciblés pour inciter le secteur privé à assumer une plus grande part du fardeau.
Et s'il devient un jour premier ministre, M. Carney n'hésitera pas à imposer des coûts aux entreprises qui n'adhèrent pas au programme.
Cette approche reflète la philosophie plus large de M. Carney : établir des règles claires et fermes, assurer un suivi rigoureux et rendre des comptes pour s'assurer que le secteur privé s'acquitte de ses obligations. C'est la même méthode qu'il a utilisée pour remodeler la réglementation bancaire mondiale après la crise financière, et c'est le fondement de son travail sur l'intégration du risque climatique dans le système financier.
Les libéraux feront valoir qu'ils font déjà ces choses, mais la contribution de M. Carney consistera à déplacer le centre de gravité du parti vers des priorités essentielles (comme le climat), en s'éloignant des approches activistes, axées sur le gouvernement, et en mettant l'accent sur ce qu'il appelle le capitalisme à mission, dans lequel le secteur privé est le moteur de la croissance et du changement grâce à des solutions axées sur le marché.
C'est vers cela que se dirigent les libéraux. À moins, bien sûr, que quelqu'un au sein du parti n'ait de meilleures idées.